Le harcèlement moral institutionnel : Une décision clé de la Cour de cassation (Cass. crim., 21 janvier 2025, n° 22-87.145)
- Jessica Afula
- 24 mars
- 4 min de lecture
Dans une décision désormais emblématique, la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 21 janvier 2025, a mis un terme à une saga judiciaire historique, celle de l'affaire France Télécom. Elle a confirmé que le harcèlement moral institutionnel était bien visé par l’article 222-33-2 du Code pénal, qui sanctionne spécifiquement le harcèlement moral au travail. Ce jugement, déjà promis à une large diffusion, établit un précédent important. Après plus de quinze ans de procédures, les anciens dirigeants de France Télécom ont été reconnus responsables de harcèlement moral institutionnel, une pratique systématique de réduction des effectifs ayant tragiquement entraîné 19 suicides et 12 tentatives de suicide. Les méthodes de gestion de cette réduction, qualifiées de brutales et oppressantes, étaient clairement pensées pour forcer les salariés à quitter l’entreprise.
Les juges, après avoir pris en compte les conséquences dramatiques de ce management, ont rendu une décision qui aura des répercussions bien au-delà de cette affaire particulière. La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel, notamment par la mise en place de stratégies managériales excédant les limites du pouvoir de direction, incite dorénavant tous les employeurs à réexaminer leurs pratiques et à garantir que celles-ci ne franchissent pas les limites imposées par la législation.

En reconnaissant la responsabilité de l'entreprise dans la création d'un environnement de travail toxique, la Cour de cassation a mis en lumière deux éléments clés du harcèlement moral institutionnel: l'élément matériel et l'élément moral.
L'élément matériel du harcèlement moral institutionnel
L'élément matériel du harcèlement moral institutionnel se réfère aux actes ou aux pratiques concrètes mises en place par l'entreprise qui ont un impact direct sur les conditions de travail des salariés. Ces actes sont observables et mesurables. Dans l'affaire France Télécom, cet élément matériel s’est manifesté par des réorganisations massives des équipes, des pressions hiérarchiques pour atteindre des objectifs irréalistes, ainsi que la suppression de postes sans mesures de compensation adéquates.
Ces actions ont directement dégradé les conditions de travail des salariés, entraînant une surcharge de travail, un stress constant, une incertitude professionnelle et un sentiment de précarité. Ces pratiques sont souvent liées à une gestion orientée vers la performance à tout prix, sans tenir compte des capacités humaines des salariés ni de leur bien-être psychologique. Elles constituent l'élément matériel du harcèlement moral institutionnel.
L'élément moral du harcèlement moral institutionnel
L'élément moral du harcèlement moral institutionnel fait référence à l'impact psychologique des actions ou des pratiques de gestion sur les salariés. Il s'agit de la détérioration de leur état de santé mentale en raison de conditions de travail dégradées. Contrairement à l'élément matériel, qui est concret et observable, l'élément moral concerne l’effet subjectif de ces pratiques sur les employés.
Dans l'affaire France Télécom, les réorganisations et les pressions exercées sur les salariés ont créé un stress intense, une angoisse constante liée à l'incertitude de l’avenir professionnel, ainsi qu’un sentiment de dévalorisation. Les objectifs fixés étaient souvent irréalistes, et le manque de soutien des supérieurs hiérarchiques a conduit à un sentiment d'isolement et de perte de sens au travail. Le harcèlement moral institutionnel ne se manifeste pas nécessairement par des actes isolés, mais par un effet cumulatif sur la santé mentale des employés. Cet effet peut être difficile à mesurer directement, mais il est réel et a des conséquences sur le bien-être des salariés à long terme.
La responsabilité des dirigeants : une gestion fautive
La décision de la Cour de cassation met également en lumière la responsabilité des dirigeants d'entreprise dans la mise en place de telles pratiques. En l'absence d'intention malveillante spécifique à l'égard des employés, les dirigeants sont néanmoins responsables de l'environnement de travail qu’ils créent. Dans le cas de France Télécom, les décisions stratégiques ont contribué à créer un environnement de travail où les employés se sont retrouvés sous une pression constante, sans soutien suffisant, ce qui a conduit à un nombre tragique de suicides. Les dirigeants ont donc été jugés responsables, non pas pour des actes de harcèlement individuel, mais pour des décisions organisationnelles collectives créant une atmosphère de travail destructrice.
En conclusion : la reconnaissance du harcèlement moral institutionnel
La Cour de cassation a reconnu que certaines pratiques de gestion peuvent constituer un harcèlement moral institutionnel, même si elles ne sont pas dirigées contre une personne en particulier. Cette décision est un tournant dans la reconnaissance du harcèlement moral dans l’entreprise, car elle élargit la notion de harcèlement moral en incluant des pratiques organisationnelles globales qui nuisent à l’ensemble des salariés.
En effet, les éléments matériel et moral du harcèlement moral institutionnel sont désormais mieux compris et peuvent être invoqués dans les actions pénales. Les entreprises sont appelées à repenser leurs pratiques de gestion afin d’éviter de créer des environnements de travail nocifs qui peuvent avoir des effets dévastateurs sur la santé mentale des salariés.
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Jessica AFULA,
Avocate au Barreau Paris

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