Télétravailler depuis l’étranger : une faute grave ?
Le télétravail, devenu une norme pour de nombreux salariés depuis la crise sanitaire, soulève des questions juridiques complexes lorsqu'il est pratiqué depuis l'étranger. Peut-il être considéré comme une faute grave en cas d’absence d’accord préalable de l’employeur ?
La réponse dépend de plusieurs facteurs juridiques, contractuels et contextuels. Cet article analyse les enjeux à travers un cas récent jugé par le Conseil de prud’hommes de Paris du 1er août 2024, n° 21/06451.
Qu'est-ce que le télétravail ?
Le télétravail permet au salarié d’exercer son activité en dehors des locaux de l'entreprise, en utilisant les technologies de l'information et de la communication.
Bien qu’il offre une flexibilité appréciable, le télétravail est soumis à des conditions strictes, notamment :
Un accord préalable entre le salarié et l’employeur (accord collectif, un avenant ou une charte).
Le respect des instructions de l’employeur, incluant la localisation du télétravail.
Ainsi, télétravailler depuis l’étranger, sans autorisation, peut constituer une violation des obligations contractuelles, voire une faute grave si cela empêche la poursuite du contrat.
La récente décision rendue par le Conseil de prud’hommes de Paris :
Les faits : Une salariée a obtenu une autorisation temporaire pour télétravailler depuis le Canada dans l’attente de la fin de son contrat. Cependant, après avoir demandé un report de la rupture de son contrat de travail, elle a continué à travailler sans répondre aux demandes de son employeur concernant sa localisation. Face à son refus de se présenter en présentiel, l’employeur a prononcé un licenciement pour faute grave.
La décision : Le Conseil des prud’hommes de Paris (1er août 2024, n° 21/06451) a confirmé le licenciement, estimant que l’absence de localisation déclarée et le refus de l’ordre de retour au bureau constituaient une attitude déloyale rendant impossible la poursuite du contrat.
Pourquoi est-ce une faute grave ?
La faute grave est définie comme un manquement d’une gravité telle qu’il rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis.
Dans ce cas précis l’employeur reprochait à la salariée :
Le non-respect des obligations contractuelles : La salariée n’a pas respecté les termes de l’accord initial sur la localisation.
La violation du devoir de loyauté : L’attitude de dissimulation (non-communication de sa localisation) a été interprétée comme un manque de transparence incompatible avec la relation de confiance employeur-employé.
L’entrave à l’organisation de l’entreprise : La localisation d’un salarié peut avoir des conséquences sur des aspects fiscaux, sociaux ou opérationnels, particulièrement dans un contexte international.
Les risques juridiques du télétravail international
Pour l’employeur :
Conséquences fiscales et sociales : Un salarié à l’étranger peut entraîner des obligations de déclaration fiscale et sociale dans le pays d’accueil, engageant la responsabilité de l’employeur.
Risques d’accidents du travail : Le cadre juridique applicable en cas d’accident peut être flou lorsqu’un salarié télétravaille hors du territoire national.
Pour le salarié :
Sanctions disciplinaires : En cas d’absence d’autorisation préalable, l’employeur peut justifier un licenciement.
Perte de protections légales : Un salarié travaillant sans cadre clair risque de se voir refuser certaines protections sociales ou juridiques.
Comment éviter les litiges ?
Pour l’employeur :
Formaliser les conditions du télétravail international : Inclure des clauses spécifiques dans le contrat ou établir une charte interne.
Exiger une localisation claire et un suivi régulier pour éviter les zones d’incertitude.
Pour le salarié :
Demander une autorisation préalable écrite précisant les modalités (durée, lieu, conditions techniques).
Rester transparent sur sa localisation et respecter les consignes de l’employeur.
Conclusion
Le télétravail à l’étranger offre des opportunités mais comporte aussi des risques juridiques majeurs. Le cas jugé par le Conseil des prud’hommes de Paris illustre l’importance du respect des obligations contractuelles et de la transparence dans la relation employeur-employé. Salariés comme employeurs doivent prendre des précautions pour éviter que cette flexibilité ne se transforme en source de conflit.
Vous êtes employeur ou salarié confronté à une situation similaire ? Contactez-nous pour une analyse personnalisée et des conseils adaptés à votre situation juridique.
Maître Jessica AFULA,
Avocate au Barreau de Paris
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